Je tiens à préciser que même si vous trouvez le mot femme ou des défauts d'écritures inclusives (que je ne maitrise pas), mes articles s'adressent à tous le monde. |
La place des émotions et des sentiments est prépondérante dans nos vies.
Elle l'est d'autant plus lors d'une interruption volontaire de grossesse.
Comment décrypter, comprendre et accueillir ses émotions
lors d'une interruption de grossesse provoquée (IVG) ?
1. Comprendre le système émotionnel et sentimental
2. Pour quelles raisons ces émotions sont si fortes lors d'une IVG ?
3. Représentation de l'état émotionnel lors d'une IVG : prudence !
4. Palettes des émotions et sentiments lors d'une IVG :
- Le sentiment de solitude
- La joie et le soulagement
- La colère
- Le sentiment de culpabilité
- Le sentiment de honte
- La tristesse
- Douleur émotionnelle et physique
- Le sentiment de deuil
5. Héritage émotionnel
6. L'évitement émotionnel
7. Mettre en lumière nos émotions
COMPRENDRE LE SYSTÈME ÉMOTIONNEL ET SENTIMENTAL
Les émotions qui émergent et traversent notre corps d'un coup, sont en quelque sorte le langage du cerveau, elles sont là pour nous transmettre un message. Face à une situation inhabituelle, le cerveau réagit en envoyant ce message pour répondre à un besoin.
L'émotion est passagère, elle dure quelques minutes, mais elle apparaît tellement forte qu'elle a tendance à submerger et à faire perdre ses moyens. Les sentiments sont un peu différents, ils durent plus longtemps, car ils sont une construction mentale suite à ces émotions. Bien sûr, le fonctionnement du cerveau est complexe, mais la distinction entre une émotion et un sentiment est une première étape pour comprendre notre fonctionnement. Mes propos sont simplifiés, mais illustrons la différence par un exemple :
Si une voiture manque de vous renverser, vous allez immédiatement avoir peur,. C'est une réaction du cerveau qui envoie un message par le corps dont le but est de garantir votre survie. Par la suite quand vous traverser un passage piéton, vous ressentez de l'anxiété en repensant à cette situation, mais l'anxiété est une construction du mental pas une réaction du cerveau. La peur est une émotion, l'anxiété est un sentiment.
Identifier et accueillir émotions et sentiments permet de mieux percevoir nos besoins, d'y répondre et ainsi prendre soin de nous-même, en prenant les meilleures décisions. Toutefois, ceci n'est pas une chose facile. Certaines personnes n'arrivent pas à dire ce qu'elles ressentent. C'est une problématique qui peut remonter à l'enfance, car reconnaître ses émotions est un apprentissage nécessaire.
Cette roue des émotions, créée par L'autrement Dit, illustre très bien ce fonctionnement cerveau/message/corps/émotions.
La partie du centre permet d'identifier ce que l'on ressent dans son corps par exemple : Je suis tendue, J'ai mal au ventre, J'en ai pleins de dos ...
La partie du milieu invite à identifier comment l'on se sent : déprimé·e, apeuré·e, euphorique ...
Et la dernière partie, à l'extérieur, énumère les besoins que nous pouvons avoir. C'est un merveilleux outil si l'on a du mal à comprendre nos émotions.
Maude Renard, l'explique très bien dans son libre Habiter son utérus. Écouter ses émotions ce n'est pas y être soumis, c'est écouter des messagères du cerveau qui passe par le corps ! L'hormone GnRH essentielle au cycle hormonal « est fabriquée par l'hypothalamus qui est une zone du cerveau qui gère les besoins primaires, mais aussi l'expression des émotions » dire cela suffit à comprendre l'importance du rôle des émotions dans notre bien-être.
POUR QUELLES RAISONS CES ÉMOTIONS SONT SI FORTES LORS D'UNE IVG ?
Pour commencer, il faut comprendre qu'à l'échelle humaine, nous avons beaucoup évolué en tant qu'être social. Cette construction contribue à avoir des réactions rationnelles ou conventionnelles : des réactions perçues comme acceptables. Pourtant, physiologiquement, nous restons des animaux dont le cycle et le corps sont fais pour se reproduire et procréer, c'est un fait. Même si nous ne désirons pas d'enfant, le cerveau continue à envoyer des hormones aux ovaires. Ce qui n'implique bien sûr aucune injonction à le faire ou pas ! Comme dirait Clara Luciani, dans sa chanson La Grenade :
Je ne suis qu'un animal déguisé en Madone.
Mais revenons à nos émotions ... Donc, face à une situation inattendue et potentiellement dangereuse, le cerveau va réagir immédiatement. C'est exactement ce qui se passe lorsque l'on découvre une grossesse non désirée. Le cerveau réagit (de manière assez archaïque) comme si cette grossesse était une menace potentielle à notre survie. Il envoie alors des émotions, qui dans ce cas-là sont souvent la peur, la tristesse ou la colère, puisqu'il n'y avait pas de désir d'enfant.
Attention : il arrive que la première émotion soit la joie de découvrir que nous sommes fertiles. Cette émotion est naturelle et légitime pour un cerveau archaïque dont un des besoins primaires est de se reproduire.
Et cet instinct de survie alors ? Vous me direz, instinct de survie, elle y va un peu fort ! Et bien non, même si cette notion est évidemment relative. Une grossesse non désirée peut être interprétée par le cerveau comme une menace pour :
notre survie physique : à commencer par les nausées, peur d'avoir mal, peur des réactions de notre corps ...
notre survie matérielle : peur de ne pas pouvoir subvenir à nos besoins et aux besoins de la personne à venir, peur de ne pas savoir comment gérer la situation ...
notre survie affective : peur de vivre cette situation seule, de faire fuir le partenaire, peur de ne pas être à la hauteur ...
notre survie relationnelle : peur d'être rejeté·e par son cercle en fonction de la décision prise, dans un sens comme dans l'autre ...
Après la vague des premières émotions, à la découverte de cette grossesse non désirée, le processus de décision commence et on peut se faire des nœuds au cerveau ... Les réactions des différents interlocuteurs (coresponsable, conjoint, personnel médical ...) sont autant d'éléments extérieurs qui peuvent contribuer à générer des vagues d'émotions dans le corps.
Physiologiquement, dès le début de la grossesse, les hormones s’activent dans le corps et leur impact sur le système nerveux (assez peu connu) est à prendre en compte. Le corps commence à changer et cela implique de faire face à d’énormes modifications physiologiques et psychologiques en peu de temps. Les émotions et le sentiment fluctuent selon les moments et nos états. Ces variations peuvent parfois créer un sentiment d'ambivalence.
Qu'est-ce que l'ambivalence ? Nous utilisons peu ce mot en France. Ressentir de l'ambivalence, c'est avoir exprimé ou manifesté des pensées et des comportements dits "contradictoires" ou "opposés". Dans le cadre de l'IVG, l'ambivalence, c'est par exemple une femme qui a pris sa décision qui est 100 % au clair avec elle-même, mais qui ressent de la tristesse. Elle peut se trouver confrontée à des personnes qui vont lui dire « pourquoi tu avortes si tu es triste ? ». L'ambivalence, c'est une femme que ça ne dérangerait pas d'être mère de nouveau, mais qui ne veut pas subir les horribles symptômes qu'elle a eus durant ses 3 dernières grossesses. L'ambivalence est souvent présente lors d'un avortement et c'est tout à fait normal, je dirais même que c'est humain de ressentir des émotions parfois contradictoires (sans parler des hormones). |
REPRÉSENTATION DE L'ÉTAT ÉMOTIONNEL LORS D'UNE IVG : PRUDENCE !
Les personnes qui avortent sont trop souvent représentées de dos, la tête baissée, ou bien avec les mains cachant leur visage. Ces représentations dépeignent cet acte comme une source de honte, de culpabilité, de repli sur soi. Pourtant, il existe autant de vécus que d’interruptions de grossesse. Il ne faut pas stigmatiser l'état émotionnel lors d'une interruption volontaire de grossesse, cela impliquerait un déterminisme de l'avortement inacceptable.
Chaque personne prenant la décision d'interrompre une grossesse traverse des émotions variées, coexistantes et qui parfois se combinent pour créer des sentiments complexes. Ce qui peut rendre la situation difficile à comprendre et à exprimer. Et puis, la temporalité des émotions et des sentiments n’a pas de règles. Elles peuvent survenir tout de suite, neuf mois, un an ou des années après.
Certaines personnes auront besoin de vivre pleinement ce qui se joue en elles, de se confronter à leurs émotions, d’autres au contraire n’auront pas envie d’en parler ou d’y penser... Tout est ok !
PALETTES DES ÉMOTIONS ET SENTIMENTS LORS D’UNE INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE
Liste non-exhaustive
Le sentiment de solitude
J'ai souhaité commencer par parler de la solitude, car elle est bien trop récurrente et confortée par le silence qui entoure l'IVG.
La solitude peut être physique et/ou morale, elle peut être volontaire ou non. Elle s'accompagne parfois d'un sentiment douloureux d'être dans cette situation.
Le silence qui entoure la décision et l'acte d'avorter renforce le sentiment de solitude. La culture, la religion, les tabous, la gêne de parler de son intimité, le manque d'entourage, la honte, la culpabilité, les violences conjugales, les pressions familiales .... sont de nombreux facteurs qui peuvent favoriser silence et solitude. Nous avons besoin de libérer la parole (à travers des espaces de parole par exemple) et de diffuser de l'information bienveillante pour lutter contre ce silence et donc la solitude.
Nous évoluons majoritairement dans une culture et une éducation de responsabilité unilatérale en matière de gestion de la fertilité. En bref, c'est aux femmes de gérer la contraception alors même qu'elles ne sont fertiles qu'environ 6 jours par cycle tandis que les hommes le sont TOUS LES JOURS ! En conséquence, les femmes assument très souvent seules la charge de la contraception et la charge d'une grossesse non désirée. Pourtant, un « coresponsable » est systématiquement impliqué. Au sein d’un couple, il arrive que le sentiment de culpabilité d’avoir « échoué » à éviter une grossesse pousse la femme (de manière consciente ou non) à croire qu'elle doit assumer seule les conséquences. Ce qui très concrètement signifie gérer seules les démarches et les rendez-vous.
Il existe aussi si des personnes seule ou en couple dans une situation d’isolement quotidien, sans personne à qui parler, dans ce cas, il ne faut surtout pas hésiter à se tourner vers un·e accompagnant·e ou vers le numéro vert du planning familial français :
0800 08 11 11 :
appel gratuit et anonyme
Toutefois, on peut se sentir seul·e même en étant entouré·e. Lors d'une interruption de grossesse, d'une certaine manière, nous nous retrouvons seul·e·s face à nous-même. Nous pouvons avoir le sentiment de s'engouffrer toujours plus profondément dans une vallée de questionnement : qu'est-ce que je souhaite ou ne souhaite pas pour moi-même ? quelle est ma place sur terre et dans la société ? quelles sont mes aspirations, mes désirs, mes priorités ? qu'est-ce que je souhaite pour mon couple ? ai-je envie d'avoir un enfant, maintenant, plus tard, jamais ? quels sont mes schémas familiaux ? Ces questionnements, s'ils surviennent, sont une porte ouverte sur une introspection. Il est alors possible de voir l'interruption de grossesse comme l'élément déclencheur d'une réflexion personnelle aussi inconfortable que saisissante et nécessaire.
La joie et le soulagement
Il est tout à fait possible d'être traversé par la joie lorsque l'on apprend qu'il y a une grossesse, même si nous ne la souhaitons pas. Pourquoi ? Et bien, car c'est l'émotion que le cerveau cherche le plus à ressentir et qu'avec le corps, ils vont essayer d'y revenir en permanence (sauf état mental instable). Il est légitime que le cerveau et le corps ressentent de la joie en apprenant qu'il est fertile et que tout « fonctionne ». De nombreuses femmes se posent cette question et c'est ok d'être heureuse de savoir que « le jour où je voudrais un enfant, si j'en veux un, je pourrai ».
La première vague est celle d'un soulagement indicible. Je peux tomber enceinte. Mes ovaires fonctionnent, mon utérus peut se faire accueillant, il existe dans mon corps cette possibilité.
Pauline Harmange, Avorté, Une histoire intime de l'IVG
À la fin de la procédure, dans une majorité de cas, les sentiments ressentis sont le soulagement, l’apaisement, la liberté, même s’il peut y avoir de l’ambivalence dans les sentiments. Une étude américaine de 2020 publiée dans la revue Social Science & Medicine rapporte que 5 ans après leur interruption de grossesse, environ 90 % des personnes interrogées éprouvent des sentiments positifs vis-à-vis de leur décision. Les personnes se sentent libérées : la meilleure décision a été prise « pour et par soi-même » compte tenu des différentes circonstances, maintenant, « c’est fait », cette situation anxiogène s’arrête.
Après une interruption de grossesse, prendre conscience d’avoir exercé sa liberté, se sentir allégé et soulagé, peut amener une forme de jubilation qui donne envie de célébrer, pour clôturer cet événement et avancer. Cela n’empêche pas aux larmes de couler avant, pendant et après.
L’acte d’avorter en lui-même n’est pas problématique. Ce sont les difficultés rencontrées en périphérie qui le sont : l’infantilisation, la culpabilisation, la stigmatisation, le secret, manquer de soutien, décider d’avorter sous pression d’un tiers (conjoint, famille), avoir des fragilités psychologiques. En ce sens, le manque de prise en charge et d’accompagnement est un enjeu primordial. Les conditions dans lesquelles se font les interruptions de grossesse influent nécessairement sur le vécu.
La colère
Une autre émotion, qui surgit souvent, est la colère. En France, beaucoup de grossesses non désirées surviennent chez des femmes utilisant un moyen de contraception (72 %) et l’échec, notamment, du stérilet provoque énormément de colère. L’infantilisation, le manque d’information, le manque de considération peuvent également engendrer cette émotion.
Je reviendrais dans un prochain article sur le cas précis des grossesses non désirée sous contraception.
Qu'est-ce que la colère ? C'est une émotion primaire qui est là pour alerter sur une insécurité ou une injustice. La colère peut-être l’expression que son besoin de respect n’est pas satisfait. L’indifférence et l’incompréhension de l’entourage peuvent également amener à ressentir cette émotion.
La colère peut s’adresser à soi-même, car l’on estime ne pas avoir su se « protéger » ou avoir « manqué de sérieux » ou bien même s’adresser à ce corps qui nous a « trahis ». Ces pensées négatives sont issues de préjugé et du patriarcat qui voudrait qu'une femme puisse gérer sa fertilité parfaitement après tout, avec tous les moyens de contraception modernes qui existent. Et notre corps ne nous trahit pas, ce n'est pas une entité détachée de nous-même, le problème vient du manque drastique de connaissance sur son fonctionnement.
Quel est le rôle de la colère ? Cette émotion très puissante nous pousse à modifier une situation qui ne nous convient pas. Nous nous mettons en colère pour exprimer le refus de quelque chose.
Que faire ?
Tout d'abord, vous pouvez simplement dire « je suis en colère ».
Essayez de comprendre à qui s'adresse cette colère : à vous-même, à votre entourage, au personnel de santé rencontré, au coresponsable ?
Quand vous aurez répondu à cette question, essayez de mettre des mots sur cette colère, essayez de vous l'expliquer à vous-même, au fur et à mesure, vous arriverez sûrement à l'exprimer calmement à la personne à qui elle s'adresse ...
Si les mots ne suffisent pas, si vous n'y arrivez pas, criez dans la forêt, faites du sport, créer ... mais ne laissez pas ce sentiment vous ronger.
Le sentiment de culpabilité
Pour la culpabilité, la différence entre émotion et sentiment est essentielle, car la culpabilité n'est pas une émotion qui correspondrait à un message du cerveau. C'est une construction mentale et sociétale qui résulte de pensées et de jugements, de soi-même ou des autres, liée à l’exigence d’agir toujours de manière adéquate par rapport à la norme.
L’impression d’avoir eu un comportement blâmable, serait causée par la transgression d’une norme morale, et engendrerait une forme d'autoaccusation et de conscience douloureuse d’être en faute. Toutefois, nous pouvons être responsables sans être coupables. Alors que la responsabilité invite à se connecter aux ressentis et à accepter les événements tels qu’ils sont, se sentir coupable empêche de se confronter au vécu intérieur.
Le sentiment de culpabilité est souvent exacerbé par le personnel soignant, l’entourage, les systèmes de valeurs, les codes de la société, les croyances, la religion et l’éducation... Des témoignages évoquent même le fait de se sentir coupable de ne pas ressentir de culpabilité !
Que faire ?
Avant tout, il faut comprendre que le sentiment de culpabilité n'est pas lié à soi, mais à la norme.
Ensuite, il faut se soutenir soi-même. Accepter nos choix, nos failles et nos limites. La culpabilité nourrit la morosité alors que la responsabilité permet d’avancer. Bien que parfois difficile, s’extirper du jugement de soi-même et faire de nos erreurs un apprentissage pour demain est libérateur.
Le sentiment de honte
La photo ci-dessus illustre très bien le sentiment de honte qui, comme la culpabilité, résulte d'une construction mentale et sociétale. Toutefois, à l'inverse de la culpabilité, la honte est liée au fait de cacher quelque chose. Le sentiment de honte est entraîné par l'impression d'avoir transgressé une norme ou une convenance, et que cela ne peut être révélé. La honte fait secret, pour ne pas gêner, pour ne pas être méprisé et ainsi se protéger soi-même.
La honte nous tient à l'œil, elle exerce un contrôle social - il n'y a pas de honte sans société, sans regard pour nous juger, sans normes desquelles dépasser, pour nous faire comprendre qu'on devrait avoir honte.
Pauline Harmange, Avortée, Une histoire intime de l'IVG
Quelles peuvent être les causes de ce sentiment ?
causes sociales : peur du jugement d'autrui, normes de classes sociales ...
causes culturelles : mythes ou préjugés envers le fait d'avorter ...
causes familiales : héritage, schéma familial, attente de nos parentes, différence dans la fratrie, éducation religieuse ...
causes intériorisées : ce que l'on croit que l'on attend de nous, et ce que l'on attend de nous ...
À cause de postures et de discours réprobateurs et moralisateurs de personnes ou de la société, avorter peut entraîner un sentiment de honte, une baisse d’estime de soi et donc le secret et la solitude. Un cercle vicieux qu'il faut pouvoir briser !
AVORTER FAIT PARTIE DE L'HISTOIRE DES FEMMES ! MAIS TANT QUE L'HISTOIRE SERA ÉCRITE PAR DES HOMMES, NOUS HÉRITERONS DE DOGMES QUI N'ONT PAS LIEU D'ÊTRE !
Décider d'avorter met en avant un rapport sexuel dont le but n'était pas de procréer, mais bien de prendre du plaisir et, malheureusement encore aujourd’hui, rendre « publique » une sexualité de plaisir pour les femmes est porteur de préjugés archaïques.
Que faire ?
Tout d'abord, soyez bienveillant·e·s envers vous-même.
Sortez du silence, il n'y a pas à avoir honte, avorter a toujours fait partie de l'histoire des femmes. Si ce n'est pas anodin, c'est normal (dans le sens de dans la norme) une femme sur trois, en France, a recours à l'avortement dans sa vie fertile. Parlez-en à d'autres femmes, dans des cercles de parole, dans des associations, à votre club de sport ... à n'importe qui avec qui nous êtes à l'aise. Vous verrez que d'autre ont vécu ça également.
La tristesse
La tristesse fait partie des quatre émotions de base aux côtés de la joie, de la colère et de la peur. Revenons à notre cerveau ! Après la peur et la colère, vient souvent la tristesse, car une fois que le cerveau a réagi face à la situation inhabituelle, il réalise qu'il a fait un choix, ce qui peut amener de la tristesse.
« Vivre pleinement sa tristesse, c'est faire le deuil de quelqu'un ou de quelque chose. Être triste signifie perdre le lien ».
Maude Renard, Habiter son utérus
Dans son livre, Habiter son utérus, Maude Renard nous partage sa vision de la tristesse. Pour elle, être triste, c'est aussi faire le deuil de la perte de quelque chose ou de quelqu'un. Dans la tristesse, il y a souvent la notion de perte : de la confiance, de l'amitié, de l'amour, de l'abondance ... Les choses que nous avons perdues ou choisies de perdre, car nous avons fait un choix, nous invite aussi à nous poser des questions : et si je ne l'avais pas perdu ? et si j'avais fait un autre choix ? comment serai-je aujourd'hui ? ai-je fait le bon choix ? Être triste, c'est réaliser qu'une porte se ferme et qu'elle ne s'ouvrira certainement plus, en tout cas pas celle-là, pas ici, pas maintenant ... Cela amène à accepter de renoncer, de tourner une page, d'accepter l'inconstance.
Lors d'une interruption volontaire de grossesse, même si la décision est formelle, et même si les conditions sont réunies pour pouvoir vivre cet événement de manière apaisée, il est tout à fait possible de ressentir de la tristesse. Encore une fois, ceci est normal et légitime !
Pour certaines personnes, avorter est un non-choix, soit que cette décision leur a déchiré le cœur, mais qu'elles y étaient contraintes (pour des raisons variées que ne listeraient pas ici, car les raisons ne sont pas le propos, et elles sont tellement variées, qu'il serait vain de chercher à toutes les explorer ici), soit qu'elles ont étaient contraintes par une tierce personne. Ce que l'on nomme coercition reproductive.
La coercition reproductive réfère à des comportements de contrôle ou de force commis dans le but d’interférer ou d’orienter la trajectoire contraceptive et reproductive de l’autre partenaire. Plusieurs situations existent : - Ne pas être libre de choisir son moyen de contraception, subir des pressions pour l'utilisation de tel ou tel moyen de contraception, son partenaire retire le préservatif sans consentement ou encore cacher son moyen de contraception pour que son partenaire ne la découvre pas. - Être contraint·e de poursuivre une grossesse non désirée ou subir des pressions de son partenaire pour avoir un enfant. - Être contraint·e de stopper une grossesse contre son gré. |
Toujours est-il que la tristesse est très envahissante. C'est une émotion dont les causes sont multiples et pas toujours très bien comprises. Toutefois, elle n'est pas que négative, elle nous informe sur nos besoins et sur ceux qui contribuent à notre équilibre. Elle est comme une alarme qui nous informe que nous devons prendre soin de nous et chercher ce qui contribuera à notre équilibre. Pour en arriver là, il faut réussir à accueillir la tristesse, à la ressentir pleinement et ne surtout pas l'ignorer, ce qui reviendrait à ignorer nos besoins.
Le ballet hormonal qui se joue dans le corps d’une personne enceinte est en partie responsable de bouleversements émotionnels importants. Après avoir avorté, les hormones reviennent à « l’équilibre ». Ce changement chimique peut provoquer des sentiments de tristesse et peut faire facilement pleurer.
Que faire ?
Accueillir et exprimer cette tristesse, même en pleurant, aide à la surmonter. Ne soyez pas trop dure envers vous-même, appuyez-vous sur votre force morale, vous avez déjà été triste dans votre vie et vous avez sûrement réussi à surmonter votre émotion, plongez en vous pour trouver vos ressources... La décision qui a été prise n’est pas facile, mais elle est courageuse.
Accepter de lâcher prise, en prenant la décision d'avorter, vous avez fermé une porte, mais il y en a plein d'autres que vous pouvez ouvrir et avec elles la possibilité de répondre à d'autres de vos besoins.
Douleur émotionnelle et physique
Une douleur émotionnelle peut être ressentie, s’exprimant par de la confusion, des doutes, une négation de la réalité, de la frustration, le sentiment d’insécurité, l’hyperactivité, le repli sur soi, des troubles du sommeil.
Une douleur physique peut également survenir, car le corps constitue un lieu de mémoire, porteur de charges émotives et d’intuitions. Le transfert du psychique au corporel peut détourner ou effacer la charge mentale. La douleur ne doit pas constituer un mythe de l’interruption de grossesse, mais il faut quand même en parler. Lorsque de la souffrance est ressentie, celle-ci reste taboue, car, persiste l’idée selon laquelle user du droit d'avorter annihilerait la peine.
Que faire ?
Dans le cas où une forme de douleur serait ressentie, identifier les émotions et les sentiments à l’œuvre permettra en partie de les accepter et de les exprimer. Prendre soin de soi et se faire accompagner par un thérapeute peut permettre d’apaiser cette douleur.
Accepter que nous puissions avoir besoin de temps ...
Le sentiment de deuil
D’après la définition de l’organisation mondiale de la santé (OMS) le deuil périnatal concerne les fœtus et les bébés décédés entre 22 semaines d’aménorrhée et 7 jours de vie révolus. Cette définition exclut, de fait, les avortements. Dans le cadre de l’interruption de grossesse provoquée, Les Passeuses font mention d’un deuil « périgrossesse », afin de permettre à ce type de deuil d’exister et d’investir le champ de la recherche et les réflexions autour de ce sujet. Le plus souvent, le sentiment de deuil après une interruption de grossesse, apparaît quand celui-ci est ressenti et vécu comme un « non-choix ».
Dans un contexte de coercition reproductive ou en présence d’un système de croyances religieuses, les personnes peuvent se trouver dépossédées de leur choix. Une interruption de grossesses vécue comme un deuil, doit être reconnue et prise en compte afin de s’assurer que les conséquences psychologiques ne s’aggravent pas dans le temps ; et pour limiter les séquelles possibles dans la relation conjugale, sur les autres enfants, sur l’emploi et dans une vision plus large sur la société.
Le deuil est utilisé par les anti-choix comme moyen de culpabilité. J’aimerais ici dépasser ces considérations et laisser à chaque vécu et sentiments la possibilité d’exister et d’être reconnu sans devenir un outil de propagande. Pauline Harmange dans son livre, Avortée, une histoire intime de l'IVG, consacre un chapitre au deuil, à ce qu'elle a vécu et à ce qu'elle met derrière ce mot.
Que faire ?
Si vous ressentez le sentiment de deuil, le mieux est de se faire accompagner par un·e professionnel·le.
HÉRITAGE ÉMOTIONNEL
Ressentir des émotions qui ne nous appartiennent pas est tout à fait envisageable. Des émotions qui seraient des héritages intergénérationnels (générations qui se connaissent) ou transgénérationnels (générations distantes dans le temps), car hériter des traumatismes de nos ancêtres sans en être conscient est possible. La peur, la tristesse, la colère peuvent ainsi se transmettre. Nous avons tous une histoire, des valeurs et des croyances dont nous héritons de nos familles, même de manière inconsciente. Souvent, il s’agit de situation cachées ou confuses et l’interruption de grossesse peut faire partie de situations jugées taboue.
La tristesse est souvent le fruit de deuils non terminés ou de séparations douloureuses vécues dans l’enfance.
La peur résulte d’épisodes « historiques » traumatisants (guerre, immigration, déportation) et d’événements « privés » graves (série de décès par accident ou maladie).
La colère peut être liée à des phénomènes d’injustice (sociale ou intrafamiliale) et à de mauvais traitements (maltraitance physique ou psychologique, comme la négligence, le mépris, le manque de reconnaissance, l’hyperexigence...).
La honte fait suite aux actes condamnés par la morale de la famille (enfant né sous X, adultère, libertinage, mésalliance sociale), par la loi (tous les actes criminels) ou par l’histoire (collaboration).
La culpabilité découle du sentiment d’être la cause d’un événement non désiré, malheureux ou dramatique (un mariage déclenché par une grossesse, un décès après une rupture, une bonne intention qui tourne mal...).
Si vous pensez être dans ce cas, en prendre conscience est le début de la libération de ces émotions. Pour aller plus loin, c’est un travail de détective qui commence afin d’explorer nos lignées, accompagner d’un travail de psychogénéalogie pour mettre en lumière les liens entre certaines émotions et certains événements familiaux.
À l’inverse, il est bénéfique pour la lignée d’être honnête sur une interruption de grossesse et d’intégrer cet événement à l’histoire familiale. Il ne s’agit pas d’en faire trop bien sûr et de le raconter à tout le monde, mais simplement de ne pas mentir afin de ne pas « léguer » des douleurs émotionnelles aux futures générations.
L'ÉVITEMENT ÉMOTIONNEL
L'évitement émotionnel consiste à éviter ce qui nous confronterait à des émotions et des sentiments douloureux et qu'on penserait ne pas pouvoir gérer. Mais plus nous évitons quelque chose, plus le poids de cette chose se renforce.
L'évitement émotionnel prend deux formes. D'abord, il y a la dissimulation consciente ou inconsciente de nos émotions. Pour de multiples raisons, nécessairement extérieurs à nous, nous pouvons choisir de dissimuler ce que nous ressentons, pour ne pas choquer, perturber, les personnes autour de nous, pour qu'elles continuent à nous aimer. Nous pouvons aussi cacher nos émotions parce que nous pensons « protéger » les autres ou bien pour fuir face à une situation inconnue qui nous fait peur. Mais les émotions continueront à œuvrer dans le corps et il faut veiller à ce qu'elles ne se retournent pas contre ce corps. Prudence ! Taire des vérités douloureuses contribue à léguer un poids aux générations suivantes. Fuir nos émotions ne permet pas d'affronter les situations et cela réduit les possibilités de répondre à nos besoins.
Puis, il y a l'évitement émotionnel des autres. Les phrases que l'on entend : « ce n'est rien », « ça va aller », « c'est juste une pilule ». Des phrases qui vont être dites par des personnes qui pensent nous rassurer, voir nous aider, mais qui évitent de parler de ce qui est ressenti, qui ne demande pas : « comment vas-tu ? », « que ressens-tu ? », « de quoi as-tu besoin ? ». Les intentions ne sont pas mauvaises, mais les personnes n'ont pas les mots, n'ont pas le vocabulaire, voire ne comprennent pas. Pendant des générations, femmes et hommes ont appris à ne pas exprimer leur émotion. Nous avons besoin aussi de rompre avec cet héritage.
METTRE EN LUMIÈRE NOS ÉMOTIONS
Toute décision peut apporter des bouleversements dans nos vies, des sensations fortes et des difficultés à s’adapter. Les émotions et les sentiments sont l’expression de notre humanité. S’autoriser à les vivre afin de prendre une part active à l’événement et de ne pas juste subir semble important. Prendre conscience de la responsabilité de nos existences et de notre capacité à intervenir, sinon sur les circonstances, au moins sur nos réactions face à un événement, constitue le premier pas pour donner un sens à nos expériences.
Mettre en lumière nos émotions et nos sentiments, amener de la conscience, permet de comprendre et d’accepter ce qui s’est passé, afin de trouver un état de paix et de sérénité face à ce qui ne peut pas être changé. Avancer ce n’est pas oublier, c’est faire de la place pour accueillir de nouvelles choses dans sa vie. D’importantes évolutions sociétales sont nécessaires pour sortir de la stigmatisation de l'avortement et pour valoriser ce qui rend humain : l'inconstance des émotions.
LE MOT DE LA FIN
Pour finir, je voudrais citer Pauline Harmange (Avortée, une histoire intime de l'IVG) :
« Tu ne parleras pas des difficultés qui te traversent, parce que ça ne se fait pas, c'est impudique, c'est immoral, c'est laid. Tu es heureuse d'enfanter. Tu es heureuse d'avorter. C'est tout blanc, parce que si c'était noir ou même un peu gris, ce serait trop compliqué.
Les femmes n'ont pas le droit d'être complexes. Nos dimensions multiples n'ont pas le droit de se déployer, tant l'espace qui nous est octroyé est encore étroit. »
Nous les femmes, et plus largement les minorités, n'existons qu'en comparaison à la norme masculine (blanche), c'est un fait violent. A tel point que nous devons encore avoir peur et nous battre pour le droit à disposer de nos corps ! J'ai toujours le cœur qui se noue quand je formule cette phrase.
Pourtant, nous avons un pouvoir immense logé au creux de notre utérus. Un pouvoir qui nous dépasse, mais qui est là. Ce pouvoir, c'est la création, mais pas seulement de la vie, notre utérus est un creusé alchimique de projets, d'idées, de rêves et en tant que femme nous accouchons aussi de ces projets.
Prenons le droit d'exister en gris, d'avoir des émotions variées et variantes. Luttons, à notre échelle, contre la chape du silence : parlons et écoutons. N'ayons plus peur de prendre la place qui est la nôtre individuellement et dans le groupe.
Si vous avez besoin de parler de votre interruption volontaire de grossesse Tisseuse de Soi est là pour ça.
Tendrement, Lia
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