Si vous trouvez le mot femme ou homme dans cet article, ils sont utilisés respectivement pour désigner une personne avec un utérus et une personne avec un appareil reproducteur doté de spermatozoïdes. Il est possible de trouver des erreurs d'écritures inclusives, que je ne maîtrise pas. Toutefois, j'ai à cœur de préciser que je suis consciente que la palette des appareils génitaux et des genres est large et que dans la cadre de l'IVG l'inclusivité est un enjeu. |
Si le sujet de l'IVG n'est pas un sujet très abordé, le sujet des hommes et de l'IVG l'est encore moins. Pourtant, pour tendre vers une égalité entre les hommes et les femmes et vers plus d'équilibre dans la charge contraceptive et abortive, il semble que ce soit un sujet à aborder. Inclure les hommes dans les réflexions autour de l'avortement contribue à informer, à responsabiliser et à impliquer ces derniers.
Dans cet article j'ai utilisé le terme de coresponsable car il permet d'une part d’envisager toutes les formes de relations (mariage, couple, relation libre, poli-amour) ; et d'autre part il engage clairement la notion de responsabilité partagée des actes et de leurs conséquences : responsabilité de sa fertilité, responsabilité contraceptive et responsabilité face à une grossesse non désirée… En aucun cas le terme de coresponsable n'est utilisé comme s'il impliquait qu'il y ait une faute.
KALÉIDOSCOPE DES SITUATIONS
La réalité biophysique du corps féminin, lieu de la fécondation, de la grossesse et de l’interruption de grossesse, est évidente. Un rapport sexuel, pouvant être fécond, est la rencontre entre deux personnes, mais les risques qui en découlent ne sont pas les mêmes pour une femme que pour un homme.
Si un rapport sexuel donne lieu à une grossesse non désirée, le corps féminin devient inéluctablement la priorité. Au sens strict du droit, par le principe d’inviolabilité du corps humain, la personne enceinte décide seule (article L.2212-1 du Code de la santé publique), même si le coresponsable peut donner son avis, influencer, voir exercer des pressions (coercition reproductive). Néanmoins, la réalité biophysique et législative ne doit pas minimiser le vécu des coresponsables et encore moins les déresponsabiliser.
Une grossesse non désirée peut subvenir dans de nombreuses « formes » de relations et dans des contextes variés. Ainsi les perceptions de cette grossesse et les réactions peuvent être multiples. Bref, le kaléidoscope des situations à de nombreuses formes et de nombreuses couleurs.
Dans tous les cas, le cadre de la relation dans lequel survient la grossesse est surdéterminant dans la décision de la poursuivre ou non. Il serait difficile de faire une liste exhaustive des relations. Identifions quand même quelque type de situations récurrentes :
Relation stable :
les deux personnes ont connaissance de la grossesse, dans ce cas 79 % des "couples" sont d'accord ;
les deux personnes ont connaissance de la grossesse non désirée, une des deux met un terme à la relation (souvent l'homme) ;
la personne enceinte n'en informe pas le coresponsable. Cette situation est assez rare, en cas de grossesse non désirée dans uns situation stable les femmes informent leur partenaire dans 97 % des cas ;
Relation instable ou en rupture :
les deux personnes ont connaissance de la grossesse non désirée, dans ce cas 56 % des "couples" sont d'accord ;
les deux personnes ont connaissance de la grossesse non désirée, la personne enceinte vit la situation toute seule ;
seule la personne enceinte a connaissance de la grossesse non désirée (dans une relation instable 17 % des partenaires ne sont pas informés) ;
A noter que 90 % des personnes enceinte en informe le coresponsable, 97 % si la relation est stable.
(1bis) Données statistiques issus de : Nathalie Bajos et Michèle Ferrand « L'interruption volontaire de grossesse et la recomposition de la norme procréative », Sociétés contemporaines, vol. no 61, no. 61, 2006, pp. 91-117.
En dehors des personnes qui ne veulent pas d'enfant du tout, les études montrent que le projet familial ou parental est au coeur de la norme procréative et que les femmes majoritairement ne souhaitent pas avoir d'enfant sans père. Dans une relation stable d'autres dimensions indans les logiques décisionnelles en cas de grossess non prévue : l'âge de la mère, le nombre d'enfants, l'espacement des naissances, la situation finanicère, les croyances religieuses ...
Les statistiques ne nous informent pas sur la manière dont les personnes peuvent vivre cet évènement et il faut toujours garder en tête que tout le monde peut vivre une grossesse non désirée et un avortemet d'une manière différente.
Quoi qu'il soit, rien ne justifie en aucun cas que l'irrespect, la violence, les pressions, l'abandon ... Par ailleurs, si le coresponsable n'exprime pas d'émotions ou de sentiments, cela ne signifie pas qu’il n’en ressent pas :
Il peut mobiliser l’action (travaille, sorties, sports…) pour gérer ces ressentis.
Il peut ne pas vouloir envahir sa partenaire avec ses propres sentiments.
Il peut exprimer ce qu’il ressent en dehors du couple sans oser le montrer.
Il peut se sentir seul, désemparé, illégitime dans ses émotions ...
Partager ce moment de vie, s’est se tenir à côté de l’autre, sans être le même épicentre.
CORESPONSABLES & PARCOURS DE L’INTERRUPTION DE GROSSESSE
Des situations à géométrie variable
En France, environ deux femmes sur dix pousseraient la porte du planning familial accompagnée, soit 20 %. Trop peu de coresponsables assistent aux différents rendez-vous (1). Plusieurs raisons existent :
Le coresponsable n’assume pas sa responsabilité.
La personne enceinte ne veut pas « gêner » son partenaire.
La personne enceinte souhaite gérer la situation seule et exprime au partenaire qu’il n’est pas nécessaire qu’il l’accompagne.
La personne enceinte n’a pas conscience qu’elle souhaiterait être accompagnée ou ne sait pas l’exprimer.
La personne enceinte estime que l’homme serait « encombrant » qu’il ne comprendrait pas.
Le coresponsable n’est pas informé (pour diverses raisons).
Le coresponsable n'est pas « disponible ».
Elle est allée seule au premier rendez-vous. Je n’étais pas disponible ce jour-là. En revanche, pour l’intervention médicale, nous sommes allés ensemble à l’hôpital. Elle était très anxieuse avant de s’y rendre. Au retour à la maison, elle n’était vraiment pas bien : triste, en pleurs, empreinte de culpabilité. À ce moment, j’ai fait preuve d’une grande immaturité. Je l’ai laissée seule à la maison. Je suis allé, comme prévu de longue date, à une soirée avec mes potes. Quelques années plus tard, je regrette … profondément, encore maintenant, de n’être pas resté à ses côtés ce soir-là.
Xavier, témoignage recueilli par Tisseuse de Soi
Pourtant, quatre femmes sur cinq souhaiteraient que le coresponsable soit présent au rendez-vous de demande d'IVG (1).
L'ANCIC a établi 4 profils parmi les coresponsables qui sont présent avec différents niveaux d'implication :
l'accompagnateur : présent le jour de l'intervention (praticité et obligation de repartir accompagné après une IVG par aspiration) mais pas aux autres rendez-vous.
le gestionnaire : aide pour les démarches et mets ses sentiments de côté pour être pleinement présent pour sa conjointe.
l'investi : toujours présent et parvient à exprimer ses sentiments.
le contrôleur : il souhaite contrôler la prise de décision, voire l'imposer.
Protection des requérantes
L'IVG est un droit de femme (cette notion de genre est d'ailleurs problématique et est soulevée dans le cadre de la constitutionnalisation de ce droit). Lors du parcours IVG, la priorité est de respecter la femme, ses droits, son intimité et son vécu. S'assurer que la requérante ne subit ni de pression, ni de violences conjugales devrait faire partie systématiquement du rôle du personnel soignant lors du parcours IVG (en réalité, ce point-là dépend de la manière de travailler du médecin). Les soignants préfèrent donc recevoir les requérantes seules pour détecter des pressions ou des violences.
La dimension urgente de l'IVG, relative aux délais, doublée des problèmes structurelles et systémiques du domaine de la santé publique ne permettent pas de bénéficier de suffisamment de temps et de moyens pour donner une réelle place au coresponsable si celui a besoin d'accompagnement dans ses ressentis ou d'écoute. Le coresponsable est donc soit perçu comme une personne pouvant poser problème, voir étant une menace pour l'autonomie des femmes, soit comme une personne dont le vécu n'est pas prioritaire.
Donner une place au coresponsable pour engager sa responsabilité
Lorsque c'est possible, donner une place au coresponsable pourrait contribuer au partage de la charge mentale car, ne pas impliquer le responsable à une double peine : ne pas engager sa responsabilité et isoler la requérante dans la démarche.
De manière consciente, ou pas, les personnes ayant recours à l'IVG peuvent mettre de côté les coresponsables. Elles peuvent le faire pour différentes raisons, qui ne sont ni jugeables, ni critiquables. Parmi ces raisons, il se peut que la requérante souhaite gérer seule la situation. Dans ce cas-là, il arrive que ce choix résulte du paradigme patriarcal qui incombe toute la responsabilité de la fertilité à la femme. Elle pense alors devoir tout gérer toute seule, quitte à le regretter et quitte à le reprocher par la suite au coresponsable. Les résultats de l'étude de Caroline Tougeron montre que quand les femmes demandent explicitement au coresponsable de venir en consultation cela favoriserait leur venue (2).
« Neuf mois après mon avortement, j’ai confié à mon compagnon que j’aurais aimé qu’il soit encore plus présent que ce qu’il a été. Je lui ai dit que j’aurais aimé qu’il prenne des jours de congés lors des rendez-vous ou lors de la prise du second médicament à la maison. Il m’a répondu, à juste titre, que je lui avais dit de ne pas le faire, que c’était ok, que je gérais. Avec du recul, je réalise à quel point j’ai minimisé l’importance de l’avoir à mes côtés, de lui laisser sa place et de bénéficier de sa présence. Avais-je peur qu’il ne sache pas gérer et qu’il ne comprenne pas ce qui se jouait ? Étais-je trop sur de moi ? »
Témoignage recueilli par Tisseuse de Soi
Le déni de responsabilité existe, encouragé par certaines croyances limitantes, certains clichés, et par des comportements qui l'encouragent. Le manque d’éducation et d’information des hommes quant à la fertilité, la contraception et l’interruption de grossesse est un problème pour aller vers plus d'équité et un réel enjeu sociétal. Il est temps de changer de paradigme, les hommes doivent être sensibilisés et éduqués à ses questions. La parole doit pouvoir se libérer dans les couples afin que les choix faits en matière de gestion de la fertilité soient libres et conscients. Enfin, il est souhaitable d'accompagner les hommes, nos pères, nos frères, nos fils, nos amis, nos amants, nos amoureux pour qu’ils puissent trouver leur place, exprimer leurs émotions, leurs ressentis et s'investir pleinement dans ces questions. N'oublions pas qu'eux aussi héritent de croyances limitantes qui leur imposent d'être « fort, dominant et courageux », que leur « instinct de mâle » les poussent à se reproduire sans se soucier de rien, qu'ils ne devraient prendre aucun risque qui pourrait les rendre impuissant, voire coupable ... Ces clichés ne sont absolument plus entendable, mais un changement de paradigme ne se fait pas d'un coup de baguette magique et en la matière il y a encore du travail.
Un homme est fertile tous les jours, tandis qu'une femme ne l'est que quelques jours par mois !
Quelques thèses ou travaux de recherches existent sur le sujet des hommes et de l'IVG, mais cela reste un sujet très peu exploré dans la recherche et dans les statistiques nationales. Geneviève Cresson a toutefois démontré que la parole sur ce sujet ne circule pas (3). Aucun homme qu’elle a pu interviewer « n’envisage de parler librement, ouvertement, de l’IVG, dans son cercle relationnel » ou bien seulement à une femme très proche de lui. Les confidences qui pourraient être faites à autrui sont remplacées par un silence massif, renforcé par un manque de repères et de vocabulaire. Pour certains, cet évènement, qui relève de l’intimité, devrait rester entre les partenaires comme « ciment du couple ». L’éducation, la perception des relations et la peur du jugement renforcent ce silence social des coresponsables autour de l’interruption de grossesse. Moins les hommes en parlent, moins ils savent quelles ressources mobiliser. La transmission d’informations et la transmission d’expérience semblent inexistantes.
Ce silence massif démontre le tabou énorme de ce sujet car seulement un homme sur dix dit ne pas avoir ressenti l'interruption de grossesse de leur conjointe comme une expérience douloureuse (2). Une douleur sous-estimée car inexprimée d'après la thèse de médecine de Elinore Lapradu-Hargues : culpabilité, impuissance, incompréhension, rancœur, appréhension et inquiétude sont autant des sentiments ressentis qu'il est nécessaire de nommer.
FERTILITÉ, CONTRACEPTION, IVG : QUEL PARTAGE DE LA RESPONSABILITÉ ?
A la base de tout : la contraception
Les études montrent qu'en théorie les hommes se sentent concernés pas la contraception, 90 % disent s'y intéresser, 7 % pensent que c'est « une affaire de femme » et 3 % estiment que ce sont les hommes qui en sont responsables (sondage du CSA sur les français et la contraception).
Un grand nombre ne souhaite pas utiliser de préservatif pour des raisons physiques et érotiques, mais également à cause de ces représentations (prévention des MST et utilisation du préservatif dans des relations « non sérieuses »). Le préservatif n’est pas perçu comme un moyen pour les hommes de gérer leur fertilité, mais plus d’éviter les MST. Pour ces raisons, ils préfèrent s’en remettre à une contraception médicalisée uniquement à la charge de la femme (pilule, DIU, implant...).
D'après le travail de recherche de Caroline Tougeron, il semblerait que « les hommes ayant été confrontés à l'IVG sont davantage à avoir accompagné leur conjointe en consultation pour une contraception que ceux qui ne l'ont pas été » (2). L'IVG est donc un facteur de meilleure connaissance globale en matière de contraception.
Bien que les mentalités commencent à évoluer, depuis des décennies, voire depuis toujours, la société pousse à croire que la contraception concerne seulement les femmes. Cette charge mentale ne repose, dans une immense majorité, que sur leurs épaules. Ce désengagement face à la réalité physique et émotionnelle d’une relation hétérosexuelle pouvant donner lieu à une grossesse, déresponsabilise de fait les hommes des conséquences face à une grossesse non désirée. Le niveau d’engagements et de responsabilité varient d’une personne à l’autre. Toutefois, déléguer la contraception, c’est se désengager face à la possible conception lors d’un rapport sexuel.
La question de la contraception masculine (la pilule contraceptive pour homme existe depuis 1979) a toujours suscité une indignation des concernés qui pensaient voir leur puissance sexuelle et leur virilité atteintes, diminuées et bafouées. Mais qui surtout refusaient les effets secondaires, les mêmes qu'ils considéraient acceptable pour les femmes. Si je sujet vous intéresse, je vous invite vivement à lire, J'arrête la pilule de Sabrina Debusquat, un livre d'utilité publique qui devrait être lu par le plus grand nombre.
Fort heureusement, cette vision évolue, mais très lentement, vous me l'accordez ? De plus en plus d’hommes se questionnent sur le partage de la responsabilité contraceptive et reproductive dans une démarche plus égalitaire. Ceux qui refusent la parentalité savent que prendre le contrôle de leur propre fertilité est la solution.
Il reste que, les hommes peinent à parler des sujets de l’intimité et le chemin à parcourir vers un partage juste et conscient de la charge mentale contraceptive reste encore long.
Merci de m'avoir lu, Lia
Plaquette informative pour les hommes édité par l'Ancic :
Bibliographie :
(1) ANCIC. Enquête sur le rapport de l’homme à l’IVG, Rapport de l’enquête quantitative et qualitative. 2010
(1bis) Nathalie Bajos et Michèle Ferrand « L'interruption volontaire de grossesse et la recomposition de la norme procréative », Sociétés contemporaines, vol. no 61, no. 61, 2006, pp. 91-117.
(2) Caroline Tougeron. L’implication des hommes face à l’interruption volontaire de grossesse. Gynécologie et obstétrique. 2020.
(3) Cresson Geneviève « Les hommes et l'IVG, Expérience et confidence », Sociétés contemporaines, vol. no 61, no. 1, 2006, pp. 65-89.
(4) Lapadu-Hargues, Elinore - (2016-11-04) / Universite de Rennes 1 - Étude du ressenti et du positionnement des hommes lors d'une interruption volontaire de grossesse : enquête qualitative réalisée au centre d'IVG du CHU de Rennes entre mars 2015 et avril 2016
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